Vie de Mizuki #1 : L’enfant

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17 février 2016 par Lunch

Vie de Mizuki #1

Lunch

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C’est une page importante de l’histoire de la bande dessinée qui se tournait le 30 novembre dernier, alors que Shigeru (Mura) Mizuki s’éteignait à la suite d’une attaque cardiaque, à l’âge – respectable – de 93 ans.

Une vie durant, l’auteur japonais s’est consacré au dessin et il nous a livré une bibliographie d’une richesse incroyable, véritable monde dans notre monde, infesté de créatures fantastiques appelées Yôkai. Vous connaissez sûrement (et dans le cas contraire je vous invite fortement à leur découverte) des titres comme NonNonBâMeilleur album à Angoulême en 2007 – ou Kitaro le repoussant. Mizuki a même écrit un Dictionnaire des monstres japonais, se nourrissant allègrement dans le folklore et dans les histoires que lui contaient sa nourrice lorsqu’il était enfant.
Mizuki, c’est aussi le traumatisme de la seconde guerre mondiale. Une blessure physique tout d’abord, puisqu’il perd son bras directeur, ce qui l’oblige à tout réapprendre avec son autre bras (y compris le dessin donc, chose extraordinaire quand on voit la finesse de son trait). Une blessure mentale aussi, qui l’affecte jusque dans ses récits où la guerre n’est jamais très loin… Opération Mort est l’un de ceux-là, récompensé par un Prix Patrimoine à Angoulême en 2009 et un Eisner Award en 2012.

Dans chacune de ces œuvres, Shigeru Mizuki a tourné autour de la biographie. On le devine aisément dans NonNonBâ qui narre son enfance de manière imagée, hantée par les croyances populaires. Il a finalement fait Vie de Mizuki, une trilogie de taille impressionnante dans laquelle il aborde la réalité sans fard. On dit toujours qu’un auteur met une grande part de soi dans une œuvre, on s’en rend vraiment compte à la lecture de cette dernière série, dans laquelle il a même réutilisé – ce qui n’est pas dans ses habitudes – une vingtaine des pages issues de NonNonBâ.

Mizuki revient donc sur son enfance dans la campagne, son insouciance (mais il a de qui tenir), la guerre qui approche et qui change le quotidien… pour finalement le chambouler complètement. Ce livre EST important, il n’est pas seulement un marqueur biographique, il est aussi historique.
Pour autant, si l’on sent le vent tourner, rien n’est jamais amené avec tristesse, à peine une once de nonchalance propre à ce garnement qui n’avait probablement encore rien compris des enjeux de l’époque.
On peut d’ailleurs saluer le travail éditorial de Cornélius qui, en plus de nous gâter d’un très beau livre, a su choisir avec justesse les illustrations de couvertures : l’enfance heureuse (devant) ; le dernier gâteau avant de partir au front (4ème de couverture), partagé avec un ami qu’il ne reverrait jamais, sur fond de ciel rouge… Une image à l’image du récit.

La Vie de Mizuki, c’est aussi Le survivant (tome 2) et L’Apprenti (tome 3), une trilogie pour ne pas perdre le souvenir d’un grand Monsieur qui a traversé l’Histoire.

Vie de Mizuki #1 - Extrait

Vie de Mizuki #1 – Shigeru Mizuki © Cornélius 2012

Badelel

Badelel

Shigeru Mizuki est le maître du Yokaï. C’est aussi le maître de la semi-autobiographie. Une quantité non-négligeable de ses œuvres contient une partie de son enfance réelle et une partie fictive. Vie de Mizuki vient mettre les pendules à l’heure. Avec ce triptyque, il entend tout raconter de ce qu’il a réellement vécu. A présent que le Maître nous a quitté, cette série prend toute sa dimension.

Ce premier tome est pourtant une espèce de patchwork relativement improbable. Le seul personnage de Shigeru est représenté de trois façons différentes : le vieil homme narrateur, une espèce d’avatar narrateur également et l’enfant qui grandit, héros de l’histoire (cf. photo plus bas).

Par ailleurs, une bonne moitié de ce premier tome donne comme une impression de déjà vu, voir même le sentiment de relire franchement NonNonBâ. Normal en fait, puisque l’éditeur nous apprend en prologue qu’une vingtaine de pages de NonNonBâ ont été littéralement intégrées à cette Vie de Mizuki. Une vingtaine seulement sur environ 200 pages qui se recoupent avec l’épisode relaté dans le précédent, mais si bien intégrées qu’on ne voit pas la différence. J’ai donc eu l’impression, tout au long de ces 200 pages, de retrouver régulièrement des morceaux de NonNonBâ.

Les quelques 300 pages suivantes abordent une époque que, pour ma part, je ne connaissais pas : son adolescence et l’arrivée de la Deuxième Guerre Mondiale. Car dans ce triptyque, Mizuki ne se contente pas de parler de lui-même. Il a grandi dans une période riche en rebondissements historiques et il lui aurait été difficile de ne pas intégrer ces événements à son propre vécu. Plus qu’une simple intégration, Mizuki rappelle concrètement ce qui s’est passé, ce qui permet au lectorat français de comprendre les tenants et les aboutissants, l’éditeur ayant ajouté quelques notes explicatives au passage.

Pourquoi, alors qu’on sait que les mangakas ne s’adressent jamais à un public étranger mais bien nippon, avoir pris la peine de donner un cadre historique ? Peut-être pour les raisons données dans le cadre de la BD-reportage numérique Anne Frank au pays du manga, à savoir la relative ignorance des Japonais sur leur propre histoire concernant cette période.

Sur sa période adolescente justement, le ton est extrêmement différent de la première partie. On découvre un Mizuki soudainement impitoyable avec lui-même. S’il a toujours souligné l’insouciance et l’irresponsabilité de son père, il ne se montre pas sous son meilleur jour, dévoilant au lecteur à quel point l’hérédité a eu sur lui des effets dévastateurs. Intéressé uniquement par le dessin et la peinture, on découvre un jeune parfaitement indolent et inconscient de ses actes, se faisant renvoyer systématiquement de ses différents emplois ou écoles.

Le deuxième tome s’annonce encore très différent, certainement très sombre, à l’image des dernières pages montrant le début de la guerre. On apprend en effet dans la description de l’éditeur que Shigeru Mizuki souffre énormément au cours de la Seconde Guerre Mondiale : malaria, perte de son bras gauche, confrontation avec la mort…

Mizuki Shigeru Road

Sakai-Minato, ville d’enfance du mangaka, a consacré une rue au Maître, bordée de statues de Yôkai et menant jusqu’au musée Mizuki.

D’autres avis : Champi, Yvan, David
Vie de Mizuki #1
Scénario : Shigeru Mizuki
Dessin : Shigeru Mizuki
Édition : Cornélius 2012
La présentation de l’album sur le site de l’éditeur.
Hommage à Mizuki-sensei par Cornélius.

4 réflexions sur “Vie de Mizuki #1 : L’enfant

  1. […] mangas : « dans chacune de ses œuvres, Shigeru Mizuki a tourné autour de la biographie. » (Lunch) Pourtant, comme il l’indique lui-même dès les premières planches, cette Vie n’est […]

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  2. Hughes dit :

    Salut, il est très chouette votre article.
    Très joli site aussi, bravo 😉
    Hughes/Cornélius

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  3. […] (Kitaro le repoussant, NonNonbâ, La vie de Mizuki), comme de nombreux artistes avant lui, proposera sa vision des 53 stations de Tōkaidō, dans une […]

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