Anne Frank au pays du manga

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2 décembre 2012 par Lunch

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Lunch

Lunch

Préambule : Anne Frank au pays du manga est une bande dessinée numérique. Pour la première fois sur ce blog, il ne s’agit donc pas d’un album de notre bibliothèque personnelle. Un petit écart pour un gros coup de cœur.

Anne Frank et son journal intime ont fait le tour du monde en tant que témoignage poignant de la Shoah. Au Japon, Le Journal d’Anne Frank vient d’être adapté en manga. Il n’en faut pas plus à Alain Lewkowicz pour monter une équipe, composée de Vincent Bourgeau (dessinateur) et de Marc Sainsauve (chef opérateur et photographe). Ensemble, ils s’envolent pour le pays du soleil levant, où les attend Herminien Ogawa, un jeune homme franco-japonais, qui leur servira de guide et de traducteur.
Leur but ? Parvenir enfin à comprendre les japonais… et on peut dire que c’est pas gagné !

En préambule, il faut savoir que beaucoup de japonais ont lu Le Journal d’Anne Frank. Pourtant, après visionnage de ce documentaire, j’ai vraiment peine à le croire… où alors l’ont-ils lu sans en comprendre le contexte ?

En France on a un peu tendance à idéaliser le Japon c’est vrai. Sans pour autant se rendre compte du décalage flagrant entre nos deux cultures. Pour ne faire le parallèle que sur la bande dessinée nous achetons nos livres en prêtant une attention particulière à l’objet. Les japonais achètent des périodiques comme le Jump (3 millions d’exemplaires pour 2 €, et ce n’est pas le seul périodique puisqu’il en existe pour tous les goûts, toutes les tranches d’âge et tous les milieux socio-professionnels) chaque semaine ! Ils avalent du manga, le manga fait partie de leur éducation !
Herminien le souligne : il y a des mangas sur tout et c’est vrai, nous osons beaucoup moins dans les sujets que nous abordons en occident. C’est ainsi qu’on retrouve chez les libraires des titres chocs comme Mein Kampf et il va sans dire qu’il serait impensable de publier un tel livre chez nous. Les japonais sont curieux de tout et n’ont pas peur des tabous… du moins, c’est ce qui est dit en substance. Dans les faits, la vérité est toute autre…

Certains tabous sont peut-être plus difficiles à se remémorer… par exemple, n’espérez pas trouver de manga sur l’holocauste (eh non, Le Journal d’Anne Frank en manga c’est juste un récit « kawai » finalement) ni sur le massacre de Nankin… en fait, oubliez tout ce que les japonais pourraient être amenés à se reprocher : des crimes de guerre ? Nooooon ! Les japonais sont tous des héros ayant œuvré pour le bien de leur patrie (sisi, ils ont même un mémorial en leur nom) !
La seconde guerre mondiale, pour eux, c’est les bombes atomiques, point. Victimes mais pas coupables…

Si je ne partage pas toujours le point de vue du journaliste français, que je trouve souvent limite dans ses interventions et agaçant dans sa façon de penser (il est persuadé d’avoir toujours raison et a bien du mal à comprendre les japonais), j’ai été en revanche très enthousiasmé par le reportage ainsi réalisé en terres nippones. Il permet de faire le pont entre deux sociétés qui ont évolué très différemment. Herminien joue par ailleurs un rôle central car, du fait de sa double nationalité, il parvient à recadrer les journalistes et à exprimer le ressenti japonais, tout en comprenant les questionnements occidentaux. J’ai beaucoup aimé cette confrontation de points de vue divergeants, tous les avis ayant pu s’exprimer librement.

Effarant, déboussolant, enthousiasmant, culturellement intéressant et j’ajouterai même ludique et innovant, ce documentaire numérique est une vraie réussite.
La bande dessinée numérique, j’ai l’ai toujours perçue comme une ennemie des livres en général. C’est peut-être une étroitesse d’esprit que de penser ça mais c’est un fait. En même temps, j’attendais peut-être de tomber sur une lecture qui puisse me prouver que ce support avait quelque chose à apporter au 9ème Art, parce que jusqu’à présent la BD numérique se contentait simplement de reproduire à l’écran ce qui pouvait être imprimé dans un album : bof !
Avec Anne Frank au pays du manga, j’ai l’impression que la BD numérique marque un point.
L’ergonomie est rapide à prendre en main, la navigation est fluide et la lecture l’est tout autant, on repère facilement les interactions. Les pages sont animées : les cases, les textes, le son d’ambiance… il y a une alchimie certaine qui nous interpelle. Le support est croisé de photographies, d’interviews vidéos, ce qui donne un ensemble cohérent, absolument complet et très enrichissant.

Le dessin revêt des allures de presse mais il fait aussi l’effort d’intégrer des techniques typiquement japonaises : tramage (bien qu’uniforme), découpages un peu audacieux. Il assimile aussi des « écrans » vidéos nous permettant de cerner un peu plus la culture (ce qui me fait regretter Culture Pub par ailleurs) et les décors nippons.
En bref, une excellente découverte, que je recommande chaudement… et en plus c’est gratuit, alors pourquoi se priver ?

P.S. : Monsieur Lewkowicz, si les japonais m’ont de nombreuses fois fait bondir au plafond (notamment au sujet de leur pitoyable niveau scolaire en histoire, mais ne faisons pas de généralités), vous m’avez passablement énervé… je cite :
« Pourquoi vous avez acheté des mangas et pas des livres ? » (chapitre 4 – p5 – Diaporama « FRÄNK »)
Entendez-vous par là que le manga, et la bande dessinée en général, est de la sous culture ? Ce genre de propos me fait pousser des boutons…
À moins que ce soit le manga que vous considérez comme tel… pensez-vous que les comics américains ou la bande dessinée franco-belge soient « supérieurs » ? Cette phrase malheureuse est idiote !

 

Badelel

Badelel

Addendum du 05/02/2014

Plus qu’une BD numérique, Anne Frank au pays du Manga est surtout une BD interactive, et c’est ce qui fait tout son intérêt, particulièrement en tant que BD numérique justement. Je n’ai pas lu la version éditée ensuite sur papier, et bien que j’ai de sérieux doutes quant à sa pertinence, je ne peux pas vraiment me prononcer sur sa qualité. Mais le grand avantage de la version initiale, c’est sans aucun doute la possibilité d’ajouter sans contrainte des vidéos, des enregistrements audio, des diapos, des animations au sein même des cases…

Bref, c’est un format on ne peut plus adapté pour cette lecture qui nous plonge de surcroît dans l’ambiance japonaise grâce à ses bandes son. Et pour mener le principe jusqu’au bout, puisqu’on parle de manga, autant en adopter autant que possible les techniques : le découpage et le tramage, même si on est loin d’égaler les grands maîtres du genre.

Le format oui bon, d’accord, mais qu’en est-il du contenu ? Il me semble (mais ça ne tient sans doute qu’à moi vu les débats enflammés que j’entretiens avec mon collègue sur le sujet) que le principal tient quand même dans le propos. Eh bien j’oserais mettre ici un bémol, puisque la qualité de ce titre est intrinsèquement lié à la possibilité d’ajouter tout un tas de « gadgets ».
Mais quand même.

Enquêtant sur le constat ahurissant que les Japonais peuvent tout mettre dans un manga, preuve en est celui qui est tiré du Journal d’Anne Frank, nos auteurs nous font découvrir la vision japonaise de la Seconde Guerre Mondiale : une vision parfaitement ignare. De là à dévier sur la dénonciation des partis d’extrême droite impérialistes (mais n’en avons nous pas également en France ?), il n’y a qu’un pas que les auteurs n’hésite pas à franchir. Et c’est finalement là que le propos me déçoit : faisant fi de toutes considérations culturelles, Anne Frank au Pays du Manga pointe des aberrations qui n’en sont finalement qu’aux yeux de ceux qui délaissent le patrimoine historique japonais. La vision très européenne du discours rend du coup certaines réflexions et certains passages assommants voire pénibles.
Mais globalement, on découvre énormément de choses, et là encore, le côté interactif de l’ensemble tient toute son importance. Permettant de dépasser les limites de la BD classique, ce titre nous arrose copieusement d’interviews et de témoignages. Il n’hésite pas à distiller quelques traits d’humour au détour d’une case animée. Pourtant je m’interroge : est-ce que ce format laisse vraiment au lecteur le temps de la réflexion que mérite toute œuvre documentaire ?

Anne Frank au pays du manga (One shot)
Réalisateur : Alain Lewkowicz
Dessin : Vincent Bourgeau
Chef opérateur / photographe : Marc Sainsauve
Fixeur / traducteur : Herminien Ogawa
Édition numérique : ARTE 2012
Édition livre : Les arènes 2013
Pour visualiser la BD numérique, c’est ici !

5 réflexions sur “Anne Frank au pays du manga

  1. Lunch dit :

    Par Eric the Tiger le 01/01/2013 :

    Je n’ai pris le temps de partir à la découverte de la BD numérique. Au plaisir de te relire…

    Par Lunch le 01/01/2013 :

    Je n’en ai lu que deux à ce jour :

    – Anne Frank au pays du manga, que je trouve très bien faite et dont l’interactivité rend le support novateur.

    – Mediaentity (http://www.mediaentity.net/fr/episodes.php) qui développe d’autres aspects du numérique, très addictif et développé très différemment.

    Deux séries numériques intéressantes et novatrices qui proposent des choses très différentes. La lecture d’Anne Frank est plus longue. En tout cas tout est gratuit et j’engage à le découvrir, pour une fois que ce n’est pas de la BD transposée en numérique.

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  2. […] avec Anne Frank au pays du manga, on avait esquissé cet aspect assez surprenant : les Japonais ne connaissent pas l’histoire […]

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  3. Mokamilla dit :

    Si je la croise pourquoi pas mais cela ne me tente finalement pas plus que ça.

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    • Lunch dit :

      La lecture est toujours accessible en numérique. D’ailleurs, je conseille fortement la lecture numérique, pleine de tiroirs et autrement plus intéressante que la lecture papier.
      Le lien est à la fin de l’article.

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  4. […] la peine de donner un cadre historique ? Peut-être pour les raisons données dans le cadre de la BD-reportage numérique Anne Frank au pays du manga, à savoir la relative ignorance des Japonais sur leur propre histoire concernant cette […]

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