Yōkaidō
Poster un commentaire22 mai 2020 par Lunch

Lunch
La route du Tōkaidō est probablement la plus connue du Japon, reliant la ville de Kyōto, capitale impériale, à Edo (Tōkyō), capitale politique établie par le Shôgun Ieyasu Tokugawa.
Construite au tout début du 17ème siècle et traversant de multiples paysages, cette route du Tōkaidō est une invitation au voyage (si bien retranscrite par le jeu du même nom, signé par Antoine Bauza). Ce magnifique ouvrage d’Art ne déroge pas à la règle, reprenant superbement les illustrations d’Hiroshige et celles, plus récentes, de Mizuki. Une édition qualitative que nous devons à Cornélius, la référence française des publications du mangaka spécialiste des yōkai.
Utagawa Hiroshige (1797 – 1858)
C’est en 1832 que le maître de l’Ukiyo-e fait son premier voyage sur la route du Tōkaidō. Les célèbres estampes qu’il grave sur bois lors de ce pèlerinage seront publiées dans Les Cinquante-trois Stations du Tōkaidō et rencontreront un vif succès et une renommée mondiale pour celui qui, avec Katsushika Hokusai, demeure l’un des artistes japonais les plus en vogue du 19ème siècle.
Hiroshige multipliera par la suite les voyages et réalisera encore de nombreuses versions de ces estampes, bien que les premières soient les plus réputées.
La plupart de celles-ci sont représentées dans Yōkaidō mais l’éditeur a parfois pioché dans des vues plus tardives. Des estampes d’une incroyable finesse et d’une infinie justesse, des scènes de vie empreintes de poésie. Outre l’animation des stations, on lit dans ces fresques littorales le rythme du vent composant sa partition, la caresse de la pluie ou la douceur de la neige qui tombe en flocons.
Je suis longtemps resté figé sur ces dessins aux traits minutieux et aux couleurs crépusculaires.
Shigeru Mizuki (1922 – 2015)
Mizuki (Kitaro le repoussant, NonNonbâ, La vie de Mizuki), comme de nombreux artistes avant lui, proposera sa vision des 53 stations de Tōkaidō, dans une œuvre qui tient de l’hommage à Hiroshige puisqu’il s’inspire librement des illustrations du maître. Il reprend même pour l’exercice le procédé de la gravure sur bois.
À cela s’ajoutent les yōkai qui ont fait la renommée de l’auteur, une véritable parade de monstres issus du folklore japonais et qui prennent vie au fil des pages, témoignant d’une maîtrise absolue du bestiaire fantastique.
Si les angles des illustrations sont les mêmes, les tons qu’il utilise sont plus contemporains, dans une ambiance bleutée qui sied à l’étrange.
Une comparaison difficile
Je suis animé à la fois par une fascination du travail des deux auteurs et un sentiment de déception qui est né au fur et à mesure de ma lecture.
Les illustrations de Shigeru Mizuki et d’Utagawa Hiroshige ne sont pas comparables, car les deux auteurs ont un style graphique opposé, bien que l’approche technique soit similaire. Quand l’un évoque la poésie, installe un rythme lent voué tout entier à la contemplation, l’autre déverse un folklore fantastique sur des paysages bien réels.
Pourtant, le format du livre nous oblige à comparer, faisant s’opposer sur chaque page la vision d’une station peinte par Hirushige et Mizuki.
Le raisonnement qui a amené à l’édition du livre tel qu’il est est logique, voire implacable. J’ose même penser que la publication des illustrations de Mizuki sans montrer celles d’Hiroshige nous auraient manqué, curieux que nous sommes. Mais la lecture impose son rythme et ici souffre de la comparaison systématique et lassante d’œuvres aux styles et approches graphiques différents.
En fan du travail de Mizuki, j’en viens de fait à trouver trop imposants les yōkai qui, accentués par leur gigantisme, prennent le dessus sur l’image, altérant les proportions et la profondeur des champs. Là où la vue des estampes d’Hiroshige impose la contemplation, nous sommes confrontés à l’horreur des scènes opposées.
Le fantastique se marie mal avec le romantisme.
L’ouvrage demeure quoiqu’il en soit d’une indiscutable qualité… et le travail de ces deux maîtres d’une immense valeur !