L’homme qui marche
222 septembre 2015 par Lunch

Lunch
« Quelle vue !
_ Oui.
_ C’est beau ! Je sors faire un tour ! »
Un couple qui s’installe dans sa nouvelle maison et un mari curieux d’arpenter son nouveau quartier, voilà le postulat de départ très simple de cette histoire. Il en résulte un peu plus d’une centaine de pages de promenades et des découvertes. Le promeneur – qui n’a d’ailleurs pas de nom – se balade et pose ses yeux observateurs sur son environnement immédiat. Chose que nous faisons peu, avouons-le…
Avec L’homme qui marche nous revenons à ce qui pour nous, lecteurs français, correspond à l’origine du travail de Jirô Taniguchi avec le premier de ses titres publié en France. Ce n’est pas vraiment le cas puisqu’il s’agit d’une œuvre parue au Japon dans les années 90, le mangaka avait alors une vingtaine d’années de carrière derrière lui (dont Au temps de Botchan, Blanco, etc.).
J’avais le souvenir d’un album muet. Ce n’est pas vraiment le cas, du moins pas entièrement. Certes les planches laissent la part belle à la contemplation mais les dialogues existent, notamment entre le mari et sa femme. Ces échanges sont brefs et ne cassent pas la dynamique de lecture. Taniguchi ne s’est pas contraint à une bande dessinée sans texte et utilise les mots quand il juge que c’est nécessaire pour la compréhension.
Avec le recul, cette relecture s’avère tout de même moins digeste que dans mes souvenirs. Ces difficultés que j’ai rencontrées proviennent des mêmes maux que les autres traductions précoces de l’auteur japonais (j’avais abordé le sujet sur Le journal de mon père). Casterman a toujours édité ses albums dans le sens de lecture occidental (ce qui nécessite d’inverser les cases dans un effet miroir)… un reproche que je fais à chaque fois et qui cause des incompréhensions malheureuses. On s’y reprend parfois à plusieurs reprises pour remettre les bulles dans le bon ordre. Pire, une fois qu’on a repéré le problème, on a tendance à se focaliser dessus au point de se demander, et ce même quand la syntaxe fonctionne, si cela n’aurait pas été mieux encore dans l’autre sens ou encore si le texte original a été respecté ou non. Heureusement qu’il y a peu de dialogues !
Qu’en est-il de cette balade ?
Malgré tout un bon moment passé aux côtés de ce promeneur, qui relativise toute situation et rebondit à tout aléa, loin des tracasseries du quotidien. Il fait ce qu’il veut, prends plaisir à déambuler dans la cité, brave même quelques interdits – non pas par défi mais par simple envie de profiter de la vie. Bref, un joli contrepied au monde moderne dans lequel nous évoluons, trop souvent sans lever la tête ni connaître notre environnement proche.

Badelel
L’homme qui marche fait partie des titres les plus contemplatifs de Taniguchi. On connait sa sensibilité particulière, sa tendance à la rêverie et à la nostalgie, mais L’homme qui marche ne s’appuie sur aucune histoire. Le postulat de se livre s’arrête à un homme qui se promène et qui observe le monde.
Qui est-il ? Que fait-il dans la vie ? Ce n’est pas le propos. Ce qu’on sait de lui se limite à l’essentiel. Il est marié, a priori sans enfant (ou alors les enfants sont adultes), il vient de s’installer dans une nouvelle maison, dans une nouvelle ville. Il semble qu’il arrive de Tokyo. Rapidement, un chien vient s’ajouter à ce foyer sobre et heureux. Il a un travail… Lequel ???
Comment il s’appelle, comment s’appelle sa femme ? Ce n’est pas indiqué. Seul le chien a un nom. Tous ces éléments qu’on ne connait pas ne manquent pas un seul instant au récit. Ce n’est pas un livre sur la vie d’un homme, c’est un livre sur ses promenades.
Car ce monsieur ce promène. Beaucoup. Il aime observer : les gens, les oiseaux, les poissons, les arbres. Il profite des paysage autant que de l’activité humaine. Il se prend de passion pour les personnes. Il fait la course avec le papy et sa canne, il aide les enfants qui ont perché leur avion dans un arbre, il accompagne la mamie qui s’est perdue, il s’attendrit pour des lycéennes en train de travailler sur un banc. Il aime tout et tout le monde et prend toujours la vie du bon côté.
Il se prend un ballon sur la tête et casse ses lunettes ? Un bon prétexte pour découvrir le monde avec un autre regard. Un typhon traverse la ville ? Une bonne occasion pour la redécouvrir après la tempête. Il a oublié ses clefs et ne peut rentrer chez lui ? Eh bien cette nuit, il dormira dehors : les étoiles sont si belles…
Notre héros sait aussi s’affranchir des conventions. La piscine est fermée ? Peu importe, il passe par dessus la grille. Il ne peut pas rentrer chez lui ? Il dort sur le toit d’un immeuble.
Plus encore que contemplatif, ce livre est philosophique. C’est une ode à la vie qui invite à profiter de chaque instant
Comme toutes les BD dans cet esprit, moins y’a de texte et plus on prend le temps de profiter, comme notre bonhomme qui parle peu et voit beaucoup. L’homme qui marche n’est pas une BD muette et ne prétend l’être à aucun moment. Pourtant il peut se passer plusieurs pages sans qu’une bulle n’apparaisse.
Il y a toutefois un bémol, un gros bémol qui concerne non pas la BD elle-même mais plutôt l’éditeur.
Casterman a pris le parti de traduire tous les Taniguchi en sens de lecture français (honte sur eux pour 18 générations). Du coup, les bulles conçues pour être lues dans un certain sens sont inversés, les textes sont plus ou moins remis dans le bon sens, et la lecture est complètement perturbée. On ne sait jamais où on doit lire, c’est très perturbant, c’est même extrêmement gênant, et ça l’est d’autant plus que ça gêne l’imprégnation dans un récit lent et poétique.
[…] (…) Je n’y ai pas retrouvé dans ma lecture d’aujourd’hui ces impressions paisibles. » Lunch : « Il fait ce qu’il veut, prend plaisir à déambuler dans la cité, brave même quelques […]
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[…] s’inscrit indubitablement dans la lignée de L’homme qui marche. Comme si Jirô Taniguchi avait voulu revisiter son œuvre de jeunesse, sans pour autant la singer. […]
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