Histoire couleur terre

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29 septembre 2015 par Badelel

Histoire couleur terre

Badelel

Badelel

Dans un petit village de la Corée, un village hors du temps (en fait on peut estimer la temporalité au début du XX° siècle), vivent la jeune et belle veuve Namwon et sa fille Ihwa. A travers l’histoire de ces deux personnages, Kim Dong-Hwa compte sortir de ses sentiers battus (il était jusqu’alors plutôt connu pour ses manhwas pour fillettes) tout en dénonçant la condition féminine dans la société traditionnelle. On suit alors Ihwa depuis l’âge de 9 ans jusqu’à son mariage à 17 ans tout au long de cette trilogie.

En guise de dénonciation, l’auteur aurait pu être bien plus virulent puisque grâce à sa condition de veuve et à l’absence de belle-famille, la veuve Namwon bénéficie d’une relative liberté (aux dépends de sa réputation, il est vrai). Mais ce qu’il livre ici est avant tout une œuvre charmante et poétique, une ode à l’amour, aux fleurs, à la féminité et à la vie. Avec son trait plein de douceur, Kim Dong-Hwa dépeint une campagne faite d’innocence, une tradition non pas pesante mais un art de vivre, des superstitions au charme désuet…

Au premier plan de cette histoire, c’est la relation entre la mère et la fille qui est mis en avant. Ces deux femmes sont de véritables complices. Pour Namwon, elle a à cœur de protéger sa fille, de lui enseigner la vie et de faire d’elle une femme accomplie qui pourra trouver le bonheur dans l’amour et le mariage. Pour Ihwa, le dévouement de sa mère est un refuge. Elle aussi ne souhaite que le bonheur de Namwon et favorise ainsi ses amours (pourtant répréhensibles aux yeux de cette société rurale). Ensemble elles partagent leurs chagrin, leurs amours, leurs déceptions, leur attente. Elles sont soudées au point que la séparation inévitable et définitive que serait le mariage est leur seule véritable inquiétude. Elles se ressemblent tant, qu’au bout d’un moment, lorsqu’Ihwa arrive à l’âge adulte, il devient difficile de les distinguer l’une de l’autre.

C’est une histoire d’amour. Ou plutôt d’amours. Celles d’Ihwa, celles de sa copine Bong-sun, celle de Namwon. Car on a beau ne plus être de prime jeunesse, tant que le cœur ne se dessèche pas, la passion et le bonheur ont toujours voix au chapitre. Ces histoires s’alternent et parfois s’entremêlent au gré du parfum des fleurs.

Car c’est là encore un élément central : leur parfum, leur symbolique, leur poésie, leur raffinement, les souvenirs qu’elles inspirent… Chaque fleur a sa place dans ce récit. N’est-on pas à la campagne après tout ? D’ailleurs, une très grande majorité de l’histoire se déroule au printemps, nous pouvons ainsi mieux profiter de leur diversité. Les fleurs sont aussi symbole de la sexualité : elles sont la femme, butinées par les papillons fidèles ou volages. Une association parfaite pour retracer le chemin parcouru par Ihwa.

Dans une société traditionnelle et pudique, les enfants ne sont pas informés alors ils s’informent. A l’âge de neuf ans, Ihwa découvre les prémisses de la sexualité. Les garçons ont un piment, les filles ont une graine. A mesure qu’elle grandit, que la puberté fait des siennes (ah tiens, d’ailleurs, le récit fait preuve de tant de sensibilité qu’on avait oublié qu’il était écrit par un homme, mais là maintenant, on s’en rappelle… encore un qui est à côté de la plaque), Ihwa apprend, confronte ce qu’elle sait, interroge sa mère… et finalement se livre aux bras de son mari.

L’ensemble est remarquablement doux et apaisant. Tout au long de ces trois tomes, on rêve aux côtés d’Ihwa, on sent nous aussi le parfum des fleurs et l’air frais qui balaie les champs. S’il fallait ne retenir qu’une chose de ce livre, ce serait son ambiance !

Histoire couleur terre

Histoire couleur terre – Dong-Hwa Kim © Casterman 2006

Lunch

Lunch

« Ici, chaque papillon se fait le messager d’une histoire aux couleurs tendres comme ses ailes.
Il se dégage de chaque fleur un doux parfum de souvenir. »

Il y a de cela quelques années, alors que je cherchais à découvrir l’auteur, on m’avait fortement déconseillé de lire Histoire couleur terre qui n’était « pas une histoire pour moi » et qui « n’allait pas me plaire ». J’étais plus jeune certes et je serais peut-être passé à côté de cette lecture. J’ai eu la chance aujourd’hui de revenir dessus et j’en ressors totalement ravi. Car Histoire couleur terre est un triptyque incroyablement doux qui nous emmène en balade dans une campagne coréenne dépaysante.

La petite Ihwa (fleur de poirier) porte bien son nom. Nous faisons sa connaissance alors qu’elle n’a encore que 7 ans. Et si nous la quittons pour son mariage 10 printemps plus tard, c’est l’émancipation d’une jolie fleur et l’envol d’un papillon que nous vivons (avec un brin de voyeurisme aussi parfois – les hommes et les femmes ne vivent pas la même adolescence).

Car cette belle histoire dépeint avant tout l’amour réciproque entre une mère (Namwon) et sa fille (Ihwa). Les deux femmes doivent faire face aux épreuves de la vie malgré l’absence du père, parti trop vite. Ce manque affectif, elles ne s’apitoieront jamais dessus et resteront toujours positives.
Ihwa va grandir au fil des tomes, au fil de l’éducation qu’elle reçoit de sa mère et de ses propres apprentissages. Au fil des attentes mutuelles aussi, car l’empressement n’a pas sa place ici. Ihwa est une fille mesurée qui prend son mal en patience mais qui n’oublie pas pour autant d’avoir de la répartie… et de la patience il lui en faut avant de trouver chaussure à son pied : tout comme Namwon guette ardemment le retour de Monsieur l’écrivain public, Ihwa apprend un a un les secrets des femmes jusqu’à en devenir une elle-même.

Cette déambulation empreinte de poésie nous la devons au talent de conteur de Kim Dong-Hwa qui nous engonce dans un récit plein de tendresse. Chacun de ses textes est travaillé dans un carcan de soie, le rythme est lent, les paysages qu’il décrit son contemplatifs. Et s’il use de beaucoup de l’aspect métaphorique – proverbes coréens et un éloquent langage des fleurs notamment – on découvre avec lui tout un pan d’une culture orientale qui nous avait jusque là échappé.

Le trait fin et élégant de l’auteur n’est pas pour rien dans notre immersion. Je l’avais déjà découvert sur un autre de ces titres, Les nourritures de l’âme, mais ici le dessin tout de noir et de blanc nous invite à la rêverie. Les gestes sont maîtrisés, les décors sont sublimes, les visages reflètent la bonté et l’innocence, les cadrages sont parfaits… tout est mis au service du raffinement, si bien qu’il est difficile pour moi de sortir de la lecture en se disant que c’est déjà fini…

J’aurais bien volontiers partagé un peu plus longtemps la vie à deux dans la taverne de Namwon, une vie complice entre une mère et sa fille, une vie qui touchera assurément tous les parents du monde !

Un autre avis : Bidib, Yvan
Histoire couleur terre (série en 3 tomes)
Scénario : Dong-Hwa Kim
Dessin : Dong-Hwa Kim
Édition : Casterman 2006 (2007 pour le tome 3)
La présentation de la série sur le site de l’éditeur.

4 réflexions sur “Histoire couleur terre

  1. bidibBidib dit :

    Je rebondis sur les mots de Badelel car justement moi j’ai trouvé que Kim Dong-Hwa ne dénonce rien du tout. Il décrit la dureté de la vie des femmes mais sans s’en offusquer. Et c’est justement ce qui m’a dérangé dans cette relecture (javais découvert cette BD il y a quelques année). Mis à part ce manque de révolte, je trouve Histoire de couleur terre magnifique pour sa poésie et son dessin et fin et sensuel.

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  2. […] Lunch : « Les gestes sont maîtrisés, les décors sont sublimes, les visages reflètent la bonté et l’innocence, les cadrages sont parfaits… tout est mis au service du raffinement, si bien qu’il est difficile pour moi de sortir de la lecture en me disant que c’est déjà fini… » […]

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