Carbone & Silicium

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17 avril 2021 par Lunch

Lunch

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Au début, il y a deux visages, maintenus artificiellement « vivants » par de nombreuses connectiques. Leur « maman », le professeur Noriko, inonde leur mémoire du savoir universel, en les reliant à internet.
Véritables buvards cybernétiques, ils s’abreuvent du grand tout qui leur permettra de forger leur propre personnalité, forte des expériences passées des Hommes.
Plus tard, les robots de Tomorrow Foundation seront les premiers d’un nouveau genre. Intelligents, ils porteront assistance aux humains sans reproduire les erreurs des humains. Des êtres parfaits en somme, mais dotés d’une obsolescence programmée, leur système étant prévu pour s’arrêter lors de leur 15ème année (les lois du capitalisme faisant foi).

« En tant qu’androïdes sans descendance et vous renouvelant de génération robotique en génération robotique, vous ne serez pas soumis aux traditions ni à la culture, seule l’histoire avec un grand H vous servira de repère.
Vous ne commettrez pas les mêmes erreurs que nous, vous serez parfaits en tous points. »

Carbone & Sicilium est le nouveau roman graphique de Mathieu Bablet (Adrastée). Quelques années après le succès de Shangri-La, il renoue avec le genre dans un récit d’anticipation plus abouti et plus puissant.
Graphiquement, le style Bablet n’est pas forcément mon préféré, avec ses silhouettes décharnées et ses traits brouillons.  Je suis d’autant plus subjugué par les illustrations d’années (avec la tête de Carbone qui change à chaque période) et surtout par le gigantisme des cités « d’or » représentant les incursions dans le réseau.

« Tu appartiens à l’extérieur. Je te libère. Va. »

Bien sûr, le monde décrit par l’auteur est le miroir perfide de nos existences éphémères. L’accoutumance aux mondes virtuels, la recherche de vie éternelle, le capitalisme, le paysage-écran est un terrain de jeu idéal pour balayer les « progrès » humains au fil des âges et en quelque sorte dénoncer l’insatiabilité et les dérives de notre civilisation, toute entière ou presque vouée à l’égo et à la satisfaction personnelle.

Mais le livre est aussi et surtout une magnifique histoire d’amour entre deux êtres sans chair, parfois plus humains que les humains, devenus esclaves de leur propre technologie.
Une histoire d’amour croisée entre deux robots pourvus de sentiments et capables de transgresser les lois robotiques en bravant les interdits ad-vitam.
Carbone, c’est la sédentaire. Plus passive, elle subit les événements plus qu’elle ne les combat, elle tisse sa vie en communauté, avec ses proches ou sur la toile, dans le réseau qu’elle chérit tant.
Au contraire, Silicium est le vagabond avide de nature et de liberté par essence, épris de découvertes. Véritable globe-trotteur, il a pour objectif de vie de parcourir le monde à 100 %, d’en connaître les moindres recoins.
Une différenciation comportementale peut-être marquée par cette première course-poursuite initiée en Inde en l’an 9 de leur existence, comme pour préparer à leur émancipation future, alors que Silicium parvient à s’échapper pour vivre dès son « enfance » une vie de fugitif faite de voyages, alors que Carbone doit rester dans le carcan connu, brisée par l’absence de son âme sœur et l’abandon.
Le choix des noms n’est pas si anodin, Carbone (6) et Silicium (14) étant situés côte à côte dans le tableau périodique des éléments (groupe 14), comme pour marquer la promiscuité et même la fusion entre les personnages.
Par ailleurs, le Carbone 14 servant à la datation, il est intéressant de voir que 271 années d’histoire se déroulent sous nos yeux. Une histoire qui ne nous appartient déjà plus !

« L’humain a foiré, O.K., mais nous, quelle est notre place alors ?
On peut accepter cet état de fait et les violences systémiques qui en découlent, ou au contraire se dire que l’on peut faire mieux. »

Carbone & Silicium - Extrait

Carbone & Silicium – Mathieu Bablet © Ankama 2020

D’autres avis : Caro, Fab, Mo’, Noukette
Carbone & Silicum (One shot)
Scénario : Mathieu Bablet
Dessin : Mathieu Bablet
Édition : Ankama 2020
La présentation de l’album sur le site de l’éditeur.

2 réflexions sur “Carbone & Silicium

  1. Blondin dit :

    Comme toi j’ai du mal avec les dessins de Bablet, c’est dommage car ca m’a empêché d’etre totalement subjugué par la force de sa construction et de son propos. Mais cet album reste tres important dans le genre sf.

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