Elle s’appelait Tomoji

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7 février 2015 par Lunch

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Lunch

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Printemps 1925, quelque part dans la campagne au nord de Kôfu, la petite Tomoji n’a que 13 ans lorsqu’elle croise pour la première fois celui qui deviendra quelques années plus tard son mari : Fumiaki.
Mais commençons par remonter le temps. Tomoji est née un soir d’orage, le 9 mai 1912. La maison Uchida est alors bien heureuse…

 

Un manga à part dans la production de Taniguchi.

Jirô Taniguchi, auteur qu’on ne présente plus, est surtout connu pour ses portraits d’hommes (les mauvaises langues diront que ses personnages sont toujours les mêmes… au japonais de répondre avec beaucoup d’humour, en Rencontre Internationale lors de ce festival d’Angoulême 2015, « Je suis contrarié que vous l’ayez remarqué ! »). Ce n’est que la seconde fois qu’il s’attarde sur un personnage féminin après Les années douces, adapté du roman d’Hiromi Kawakami.

Au départ, une sollicitation venue du temple bouddhiste que sa femme fréquente avec assiduité depuis près de 30 ans (et qu’il visite aussi de temps en temps) : mettre en valeur la particularité du lieu et sa fondatrice Tomoji Uchida.

Il s’agit donc d’une commande, en somme, quelque part aussi une histoire d’amour (une première pour Taniguchi) et en premier lieu une biographie de femme forte. Car il faut l’être pour avancer malgré les épreuves de la vie… qui pour Tomoji n’ont pas été clémentes.
Il s’agit également de la première fois que Jirô Taniguchi traite de l’ère Taishô (1912-1926), période dans laquelle s’inscrit la quasi-totalité des événements du manga et qui intègre le terrible séisme de 1923, qui dévasta Tokyo.

Enfance malmenée

« Cher Fumiaki,
Si vous acceptez de me prendre pour femme… Venez me chercher au plus vite. Je suis prête à partir avec vous dès que vous viendrez. Je vous attends. »

La biographie de Tomoji Uchida prend source à sa naissance et nous amène jusqu’à son mariage par le biais d’une fiction, car l’auteur nippon n’envisageait pas d’autre façon de traiter cette histoire.
Jirô Taniguchi s’attarde donc sur les qualités que devait avoir cette femme pour fonder un temple bouddhiste, imaginant alors son enfance, sa construction en tant de femme et toutes les souffrances qu’elle a dû subir pour les acquérir.
Faisant cela, Taniguchi, épaulé au scénario par Miwako Ogihara (par manque de temps mais aussi parce qu’il n’était pas sûr de retranscrire correctement l’époque Taishô malgré ses recherches et voyages dans la région de Yamanashi), s’est éloigné du souhait de son commanditaire : il n’a pas parlé de la fondatrice du Temple Uchida, il a simplement écrit une histoire sur une jeune fille, une histoire calme, contemplative et poétique comme il sait les faire…

« Mamie… avec nos prières, Masaji va aller mieux, hein ?
_ Mmmm… Je pense qu’elle va aller mieux. La déesse Kannon fera ce qui est le mieux. »

Le récit de sa vie est semé d’embûches, triste et plombant. Mais la fillette est forte et semble résister à tout : sale temps, dur labeur dans les champs, travail à l’épicerie, études (qu’elle mène forcément avec brio), mort de ses proches, abandon… La vie est rude dans cette campagne-là et nous ferait presque oublier qu’à une autre époque, pas si lointaine, nous n’avions pas tout ce confort qui nous régit au quotidien…

Changement de cap !

Elle s’appelait Tomoji représente aussi un événement fort dans le paysage bédéphile : c’est la première fois depuis que Jirô Taniguchi est publié en France que l’auteur change de maison d’édition, prenant ses nouvelles marques auprès de Rue de Sèvres, le département BD de l’École des loisirs. Il suit en fait le départ de Louis Delas et Nadia Gibert, respectivement ancien PDG et ancienne responsable éditoriale chez Casterman.
Le rachat de Flammarion par Gallimard aura laissé des traces et ce n’est peut-être pas fini…

Rue de Sèvres a à peine plus d’un an d’existence mais débute fort avec des auteurs comme Zep, Guillaume Sorel, Kerascoët ou Alex Alice. Il semble vouloir poursuivre son ascension avec la même ambition en 2015 et, à l’instar de Jirô Taniguchi, de nombreux grands auteurs ont d’ores et déjà répondu présents : Scott Mc Cloud, Zidrou, Christian De Metter (sur une adaptation du Goncourt 2013 : Au revoir là-haut, avec Pierre Lemaitre) ou encore l’étoile montante Jérémie Moreau

Elle s'appelait tomoji

Elle s’appelait tomoji – Jirô Taniguchi © Rue de Sèvres 2015

Il ne s’agit peut-être pas du meilleur album de Jirô Taniguchi (il n’a pas la même saveur à mes yeux que Le journal de mon père) mais il marque un changement. Un portrait de femme poignant bien qu’il manque d’émotions, ce qui nous laisse un sentiment mitigé entre la force qui se dégage de cette fillette qui encaisse les souffrances les plus abominables et la compassion absente, alors que nous aurions pu (dû ?) pleurer pour elle. Un beau portrait de femme tout de même et qui en appelle peut-être d’autres.
Quant au dessin nous n’en parlerons pas, il est toujours impeccable, minutieux et contemplatif ! Chaque début de chapitre est en couleur, reprenant de douces aquarelles. Que demander de mieux ?

D’autres avis : Mo’, Noukette
Elle s’appelait Tomoji (One shot)
Scénario : Jirô Taniguchi & Miwako Ogihara
Dessin : Jirô Taniguchi
Édition : Rue de Sèvres 2015
La présentation de l’album sur le site de l’éditeur.

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