Diagnostics
125 juin 2014 par Lunch

Lunch
La plupart des livres s’articule autour d’un même récit et/ou d’un même protagoniste. Diagnostics est différent dans le sens où il n’y a pas une mais six histoires et parce que le « personnage principal » n’est pas à proprement dire « incarné » : il s’agit de la maladie.
L’album, organisé à la manière d’un répertoire, propose un chapitrage par onglets bien que ceux-ci ne sortent pas des planches.
Six maladies que Diego Agrimbau (Le dégoût) a choisi de nous présenter, toutes liées à ce fascinant organe qu’est le cerveau : l’agnosie qui déforme et fait perdre pied à la réalité, la claustrophobie qui panique, la synesthésie qui perçoit ce que l’œil ne voit pas, l’aphasie qui trouble la compréhension, l’akinétopsie qui décompose les mouvements et la prosopagnosie qui empêche toute identification d’un visage.
« Quelque chose m’enferme encore, je le sens.
La claustrophobie est toujours là, intacte.
J’ai pu me délivrer de mon histoire… mais pas de mon récit. »
Des maladies peu connues, si on exclue la claustrophobie et éventuellement la synesthésie qu’on peut assimiler aux dons « surnaturels » développés par les profilers dans certaines séries (qui ne se rappelle pas de Samantha Waters ?) que l’auteur argentin nous invite à partager au travers de la vision des gens qui les subissent.
Les histoires sont courtes et vraiment bien ficelées, comme quoi on peut faire d’excellents récits en huit pages (et même six pour l’aphasie) tout en gardant une même unité sur un recueil de bande dessinée.
Expérimentation visuelle et narrative
Lucas Varela, lui aussi argentin, accompagne Diego Agrimbau avec brio au dessin. Il est véritablement bluffant dans le sens graphique dont il fait preuve, renouvelant son approche artistique au gré des histoires.
Il est dans l’expérimentation et recherche constamment à associer le scénario à l’art séquentiel. C’est ainsi que les six types de maladies sont décrites par six traitements différents :
– agnosie et déconstruction visuelle, où l’immatériel devient tangible au fur et à mesure du remède administré avec les effets secondaires lumineusement retranscrits : on ressent la progression et la régression en quelques pages ;
– claustrophobie et enfermement dans les cases : Lucas Varela joue avec le média BD, s’essaie à des formes de narration en déformant les perspectives ;
– synesthésie avec une bichromie teintée de rouge et des onomatopées qui claquent et qui s’emmêlent, appuyée par un ancrage plus prégnant en adéquation à l’ambiance polar ;
– aphasie et ces pensées qui assaillent le lecteur de toute part : les mots se lisent mais ne sortent pas des bouches, le décors devient le support-même de la narration : l’auteur fait preuve d’une grande inventivité et d’un sens du cadrage qui prend tout son sens ;
– akinétopsie et troubles du mouvement rendus par des effets de décompositions graphiques : le ralenti devient tangible ;
– prosopagnosie avec des visages identiques et lisses en forme de smiley.
Son traitement graphique est toujours parfaitement adapté au sujet qu’il aborde. Il fait corps au récit. Chapeau !
Un livre à part
Il est difficile de dissocier le fond et la forme de Diagnostics. Les auteurs maîtrisent tous les deux leur sujet. Les histoires abordent toutes des maladies qui bien qu’elles touchent l’esprit sont vraiment différentes. Ces récits sont courts mais demeurent parfaitement lisibles et construits. Ils nous apprennent en même temps qu’ils nous mettent à l’épreuve. Et ils se renouvellent avec énergie !
Une telle osmose récit/dessin nous rend admiratifs : les auteurs parviennent à nous immerger dans leur travail et on s’émerveille de voir que ça fonctionne.
Pour chercher les clefs de cette réussite, il faut sûrement se rendre du côté d’Angoulême où les auteurs ont été liés le temps d’une résidence, de juillet à octobre 2011.
Lucas Varela y-a d’ailleurs tellement pris goût qu’il a renouvelé son bail jusqu’en mai 2014.
Des « poupées de papier » (paperdolls) se glissent entre chaque chapitre : la « patiente » sur la page de droite et divers vêtements et accessoires lui faisant face. Difficile cependant de jouer avec sans défigurer le livre à coups de ciseaux.

Badelel
Dans la nouvelle vague de BD argentine ascendant expérimentale, je vous présente Diagnostics. Bébé conçu par Diego Agrimbau et Lucas Varela, nous avons là le témoignage d’une parfaite collaboration entre un scénariste et son illustrateur, où l’idée de l’un ne peut prendre forme que grâce à une entente profonde avec l’autre.
Diagnostics nous propose de découvrir les pathologies neuronales à travers le medium de la bande dessinée… Ou plutôt non, la bande dessinée par le biais de pathologies neuronales, ce qui pousse le concept un tout petit peu plus loin en fait. Car quoique ces maladies existent réellement et sont déjà réellement handicapantes pour ceux qui en souffrent, le problème est poussé à son paroxysme. Vues de l’intérieur, ces maladies rendent notre environnement complètement abracadabrant et donnent aux récits un ton complètement absurde.
Aux récits oui, car il s’agit en fait de 6 historiettes (historietas ahahah… hum…), retraçant le destin terrible de 6 malades, 6 héroïnes qui vivent toutes dans un univers complètement déformé.
– Eva souffre d’agnosie : son cerveau est incapable d’interpréter ce que perçoivent ses sens
– Soledad est claustrophobe… Est-il réellement besoin d’expliquer ? Mais dans le cas de Soledad, l’espace clôt qui la fait souffrir n’est autre que le récit de sa propre vie
– Lola est synesthésique : elle voit les bruits
– Miranda est aphasique : elle ne comprend plus ce qu’elle entend
– La créatrice de Miku (elle n’a pas de nom elle, c’est ballot) souffre d’akinétopsie : elle ne perçoit pas le mouvement
– Olivia est prise de prosopagnosie : impossible de reconnaître les visages.
Poussées à l’extrême, parfois intégrée à une histoire fantastique, toutes ces maladies, vues de l’intérieur, permettent de comprendre la difficulté de ces malades à simplement vivre le quotidien.
Elles sont surtout prétexte à explorer l’art séquentiel et ses possibilités. Les auteurs déconstruisent complètement le récit et le découpage, décortiquent les langages et jouent avec les codes du genre. Le plus incroyable est sans doute que, pour une BD expérimentale, elle reste vraiment accessible (enfin à ne pas mettre dans les mains de lecteurs trop dilettantes quand même…).
[…] l’ordre du jour – l’histoire de Lucas Varela (qui nous avait déjà enchanté sur Diagnostics avec son compère Diego Agrimbau), cette fois en tant qu’auteur complet, est pleine de […]
J’aimeJ’aime