Orignal

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17 janvier 2014 par Lunch

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Lunch

Le 28 mars 2013, j’ai eu la chance de participer à La neuvième case, un rendez-vous bédéphile mensuel à Bordeaux. Pour ma première, j’avais d’autant plus le trac que je passais de l’autre côté de la table, juste à la gauche d’auteurs que je respecte forcément beaucoup. Ce jour-là il y avait Loïc Clément, que je connaissais déjà, et Max de Radiguès (520 km, Cowabunga) que je n’avais jamais rencontré et même pire (j’ai honte) : je n’avais rien lu de lui (mais il ne m’en a pas voulu) ! Ne voulant pas demeurer trop longtemps dans l’ignorance, la sortie d’Orignal me donne une bonne occasion d’arranger mon inculture.

Max ! Ça y est, je peux le dire : j’ai lu un de tes bouquins !

Comme un élan…

La vie d’adolescent, c’est toujours un peu compliqué… Joe est justement dans cette tranche d’âge forcément incomprise par les parents. Ce matin, comme tous les matins, Joe rechigne à aller à l’école et préfère prendre un raccourci à travers le bois plutôt que de monter dans le bus avec les autres enfants. C’est là qu’il fait la rencontre d’un orignal, grand cervidé d’Amérique du nord que nous appelons communément chez nous « élan ». Les deux êtres se jaugent, sans panique, pendant plusieurs secondes, les yeux dans les yeux. Joe est immobile, fasciné par la beauté de la bête. Celle-ci aurait pu l’envoyer valser d’un violent coup d’andouillers mais elle n’en fait rien et repart. La tête de Joe est pleine de ces rencontres matinales : écureuils, piverts, marmottes, moufettes. Pleine aussi de magie et d’aventures qu’il puise dans sa lecture du Seigneur des anneaux, enfermé dans le local ménage de l’établissement scolaire… Joe serait un garçon tout à fait normal s’il pouvait prendre son envol loin des inlassables tracas journaliers, s’il n’était pas persécuté par Jason, l’un de ses camarades de classe…

Danger : harcèlement scolaire

« C’était plus facile quand il se cachait toujours au même endroit… Moins excitant mais plus facile. »

Insultes, racket, coups, chantage, humiliations, moqueries… Joe subit à l’école un véritable harcèlement physique et moral. Supplicié du quotidien, Joe se réfugie dans la solitude et l’enfermement pour mettre de la distance avec son bourreau, première étape de l’ostracisme qui mène irrémédiablement vers le décrochage scolaire… Les séquelles subies par ces enfants brimés peuvent s’avérer dramatiques et déboucher à terme sur une dépression ou pire encore : sur le suicide. Un problème qui n’est pas encore ici poussé à son paroxysme mais qui montre déjà un début de désocialisation.

La vie de Joe est semée d’embûches. Celle de Jason, nous ne l’aborderons pas vraiment : c’est l’homme fort, dominant par la peur, celui qui dicte la loi à ses camarades de classe en jouant de son autorité.

Les élèves savent mais ont peur de parler. Les adultes voient un trouble mais ne savent pas l’identifier… C’est surtout le comportement de l’infirmière de l’école que je ne comprends pas. Elle est au courant de la situation mais attend que Joe se décide à la révéler au grand jour.

Une lecture qui nous laisse coi

Sans aller plus loin dans la description de l’album, ce qui gâcherait tout plaisir de lecture, Orignal est un récit qui prend notre cœur en otage. Difficile de ne pas s’indigner devant le comportement de Jason, de ne pas vouloir crier à Joe de se rebeller et de tout balancer (et merde quand même, jeter l’emblématique œuvre de Tolkien dans les chiottes, c’est CRUEL) !

J’évoquais plus haut La neuvième case du 28 mars 2013. Il se trouve que l’ensemble des chroniqueurs doit choisir un album à présenter pour l’occasion et ce jour-là, Max de Radiguès a proposé Jimmy et le Big Foot. On a toujours plus ou moins envie de parler d’une œuvre qui nous a touché d’une manière ou d’une autre et de la faire découvrir aux autres. Ce choix (l’album de Pascal Girard) n’était pas anecdotique tant les ressemblances avec Orignal sont fortes. On y retrouve cette image du dominant et du dominé (le thème développé est tout de même très différent), de l’adolescence, de la figure animale (élan versus yéti). Il y a aussi une certaine proximité dans l’identité graphique (Jimmy est cependant colorisé alors qu’Orignal est entièrement en noir et blanc) : un trait simple, réalisé à la plume. Les dessins sont dynamiques et expressifs, renforçant l’empathie qu’on peut éprouver pour Joe. Si on peut lui reprocher un certain minimalisme, notamment dans les décors, c’est un aspect qui recentre d’autant plus sur les personnages qui font toute la force du récit. Contrairement à mes déceptions récurrentes, la répétitivité du gaufrier ne m’a pas semblé un poids.

Orignal est une histoire que Max de Radiguès a écrite en repensant à ces paysages enneigés qu’il a visités lorsqu’il était en résidence d’auteur en Nouvelle-Angleterre. Ce n’est pas une œuvre autobiographique, il fait bon de le dire, mais elle bouscule… La dernière page arrive comme un couperet.

Badelel

Il y a des lectures qui vous mettent un coup de poing dans le bide, Orignal est de celles-là. Centrée sur la maltraitance à l’école, elle nous fait suivre avec beaucoup de mal-être et d’émotion le calvaire d’un élève harcelé, tabassé, racketté par la « forte tête » de l’école. Accompagné d’un dessin à la plume d’une grande simplicité, elle s’adresse très volontiers au principaux concernés, les ados, tout en s’adressant aux adultes, ces grands aveugles. Et au-delà de cette thématique qui nous accompagne tout le long avec ce gros mal de bide, viennent s’ajouter d’autres enjeux en toile de fond. L’amour, le rejet de la différence, la vengeance, le doute, les remords apparaissent tour à tour. On s’attache très vite à ce malheureux « héros », à sa bouille sympathique, à sa trop grande retenue et à sa grande passion pour la nature. On souffre avec lui, on doute avec lui, on contemple avec lui, on est littéralement pris par ses sentiments. Bref, un livre que j’ai bien trop tardé à ouvrir (et donc merci Mo’ de m’avoir forcé la main avec cette lecture commune), et qui aurait bien sa place dans les indispensables de l’année 2013 !

Une lecture commune que nous avons la chance de partager avec Mo’ (courrez lire son avis) !

D’autres avis : David Fournol, Jérôme, Noukette, PaKa
Orignal (One shot) Scénario : Max de Radiguès Dessin : Max de Radiguès Édition : Delcourt 2013
La présentation de l’album sur le site de l’éditeur.

2 réflexions sur “Orignal

  1. Lunch dit :

    Par Mo’ le 17/01/2014 :

    Et bien voilà ! Lunch prétend que c’est lui qui t’a forcé la main pour lire ce titre Badelel. Merci de rendre à César… 😛 😛
    Sinon, on a eu un accueil très proche sur cet album. Même dans la manière d’en parler. Ça m’impressionne ! J’ai bien aimé cet album, sans qu’il me retourne complètement mais j’ai apprécié que le message soit aussi clair et j’ai bien aimé ce petit coup de pouce du destin pour aider le personnage à sortir d’une situation inextricable.
    Le dénouement est surprenant. Ça épice l’intrigue. Bref… je crois que j’ai envie de poursuivre dans la bibliographie de l’auteur. « Le magasin des suicides » ? « 520 km » ?? Mon libraire va m’aider à trancher je crois 🙂

    Par Jérôme le 17/01/2014 :

    La fin est aussi percutante qu’inattendue. Un sujet difficile à traiter mais le minimalisme graphique renforce ici la portée du propos je trouve.

    Par Lunch le 17/01/2014 :

    Je t’ai senti un peu frustré par ce minimalisme Jérôme au vu de ta chronique. Mais oui, je l’ai trouvé pertinent et il n’empêche pas la lisibilité ou la compréhension. Ce qui est drôle je trouve, c’est que je me suis rendu compte du gaufrier en écrivant ma chronique finalement, et pourtant je suis pas fan du gaufrier de manière générale. Comme quoi j’ai vraiment été happé par le scénario.

    On s’attache à ce petit bonhomme… la fin m’a vraiment jeté un froid (c’est le cas de le dire).
     » Tu peux pas nous faire ça Max !  »
    Alors on imagine… globalement ça laisse deux solutions, en tout cas ça laisse des marques.

    Mo’, j’ai entendu du bien de 520 km, et personnellement je lirais volontiers Cowabunga, une petite histoire plus personnelle mais aussi un nom qui fait appel à la nostalgie de mon enfance 🙂

    Par Mo le 17/01/2014 :

    Connais pas. Je pense qu’on aura l’occasion de reparler de tout ça à la fin du mois 😉

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  2. […] La harcèlement auquel elle fait face est autrement plus important, et en cela ce livre me rappelle Orignal. Mais le sentiment de solitude est tellement prégnant que quiconque l’a subit à un moment […]

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