Elmer

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25 février 2011 par Lunch

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Lunch

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Jake Gallo doit rentrer de toute urgence dans la maison familiale. Son père est souffrant, victime d’une attaque cardiaque. Sur place, il retrouvera sa sœur May, son frère Freddy, et sa mère. Il y aura aussi Ben, le fermier.
Un rassemblement dans la tristesse mais qui amènera une véritable introspection pour toute la famille…
Une histoire qui se passe environ 25 ans après une incroyable révolution qui a vu les poules élevées au statut d’humain à part entière.

J’avais vu de très bonnes critiques de cet album, ce qui m’avait décidé à me le procurer. Pourtant, je ne l’ai pas lu de suite, j’avais besoin de me sentir prêt pour ça, afin de me trouver dans les meilleures dispositions pour l’apprécier à sa juste valeur. Car je savais que j’allais retrouver dans cette histoire quelque chose de bien plus profond qu’une simple aventure avec des poules.

Malgré cela, j’ai éprouvé quelques difficultés à rentrer dans l’album. La situation était saugrenue il fallait bien l’avouer. J’étais à ce moment là encore partagé entre la surprise et la stupeur. Des poules qui parlent et qui côtoient les hommes : une uchronie quelque peu bouleversante en effet. Au départ on se demande où va l’auteur, ce qu’il va nous raconter.
Et puis, de page en page, on finit par s’immerger complètement dans cet incroyable univers, dans ce monde où les gallinacées sont des êtres humains… avec les mêmes droits ? Ce point reste à démontrer !

Au travers de la vie d’Elmer, décrite dans son journal, nous revivons les premiers pas de tout un peuple, qui réalise soudain avec effroi de l’atrocité dans laquelle ils ont de tous temps été plongés. C’est la rébellion d’une race qui a trouvé le chemin de la raison. Une prise de conscience collective qui ne se fait pas sans heurts, car les hommes prennent peur de ces poulets qui étaient encore inoffensifs hier, et qui sont dotés de parole aujourd’hui.

Une réalité qui n’est pas sans rappeler une certaine époque où le peuple noir a dû livrer bataille pour gagner des droits identiques aux blancs.
Nous vivons ces mêmes atrocités dans cet ouvrage qui nous rappelle ô combien les hommes ont été cruels envers leurs semblables.
Mais l’album nous montre aussi avec une certaine ironie, au travers de l’époque « actuelle » dans laquelle évoluent les personnages, le racisme et l’exclusion qui fait encore partie de la vie de ces « nouveaux humains ».
Le parallèle entre le comics et la vie réelle n’est pas bien difficile à faire… malheureusement.

Elmer, ce n’est pas non plus seulement ça. Car les personnages, sous leur aspect de gallinacées, sont tous très attachants. Ils sont aussi là pour nous montrer la voie de la tolérance :
Freddy est devenu une superstar et serait peut-être homosexuel. Quant à la sœur, May, elle fait sa vie avec un homme.
Il y a aussi le témoignage fort de l’amitié entre Ben et Elmer, qui nous amène une véritable réflexion sur le sentiment de culpabilité et sur le pardon.

C’est tout de même le personnage de Jake qui reste le plus marquant. Au début, il a la haine des exclus et lutte chaque jour contre la discrimination. La mort de son père et la lecture de son journal le changera à jamais.
De là à faire le rapprochement avec Big Fish, ce grand chef d’œuvre de Tim Burton, il n’y a qu’un pas !

Et puis je me dois aussi de parler un peu de l’auteur, Gerry Alanguilan.
Ce philippin, architecte de formation, a depuis tous temps voulu percer dans la bande dessinée. C’est finalement Marvel et DC qui l’embaucheront comme encreur. Un travail qui ne lui laissa que peu de place pour ses propres créations, mais il avait toujours envie d’écrire ses propres histoires. Soutenu par sa femme, il prit le parti d’éditer lui-même ses ouvrages… jusqu’à Elmer. Un album qui est en quelque sorte une consécration, puisque des éditeurs français et britanniques ont pris le parti de le promouvoir. Ainsi, les rêves de jeunesse de Gerry Alanguilan prennent leur envol car désormais ses histoires sont contées dans plusieurs pays.
Son dessin fourmille de détails. Le trait est fin et très soigné. Il me fait un peu penser au travail de Jirô Taniguchi dans son application, tout du moins dans le traitement des décors.

Pour conclure, dire que j’ai aimé cet album serait un peu réducteur. Je l’ai trouvé savoureux et émouvant. J’en ai même eu les yeux tout embués sur les dernières pages. Alors à Gerry Alanguilan je me contenterais de tirer mon chapeau, ainsi que de remercier les éditions Çà et là pour cette merveilleuse trouvaille.

 

Badelel

Badelel

Addendum du 02/04/2011

Imaginez un monde dans lequel les poulets se sont soudainement éveillés et pensent, parlent, écrivent comme vous et moi.

Elmer est une BD sur la peur de l’autre, la peur de l’inconnu, la peur de l’anormal. Sur la peur. La peur qui éveille chez l’homme une violence telle que nous pouvons avoir honte de notre histoire. Finalement j’ai lu cette BD en me disant que finalement, l’auteur n’a fait que remplacer par des poulets les noirs, les juifs, toutes les ethnies qui ont subi le racisme. Je me suis demandée au départ si, en remplaçant l’humain par le poulet, en créant une différence physique notable, l’auteur ne cherchait pas à légitimer cette peur, ou au moins à la justifier.

Ce n’est que plus avant dans le bouquin qu’on comprend la démarche de l’auteur, qui, en insérant un aspect paranormal brutal, loin de légitimer cette peur, condamne les excès qu’elle engendre.

Mais ici, les poulets ne sont pas de simples victimes innocentes. D’une part les poulets ont les moyens de se défendre, en particulier les coqs de combat. Ils mettent en place des organisations de défense aux techniques plus ou moins répréhensibles telles que celles autrefois utilisées par les Black Panthers. D’autre part, le héros de cette histoire, Jake Gallo, fait lui-même preuve d’une anthropophobie acharnée. Rien n’est tout blanc ou tout noir et c’est ce qui le rend poignant. Malgré la curiosité de la mise en œuvre, tous les personnages sont incroyablement humains, faibles et bons à la fois. A travers le témoignage de son père, Jake comprend en même temps que le lecteur ce qui relie les humains et les poulets malgré leurs différences et malgré leurs haine. J’ai pleuré sur la fin, snif !

roaarrr

– Prix Asie ACBD 2011
– Prix Ouest-France Quai des Bulles 2011

Elmer (One shot)
Scénario : Gerry Alanguilan
Dessin : Gerry Alanguilan
Édition : Çà et là 2010
La présentation de l’album sur le site de l’éditeur.

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