Le sculpteur

1

10 avril 2015 par Lunch

Le sculpteur

Lunch

Lunch

Le nouveau livre de Scott McCloud était très attendu. Il faut dire que l’auteur fait parti de ces grands noms dont on attend beaucoup et que sa signature chez Rue de Sèvres n’avait pas laissé indifférent.
On peut dire dans l’ensemble que Le sculpteur est une belle réussite : malgré son importante pagination, l’histoire de cet homme entièrement dévoué à son Art nous passionne vite et nous emporte totalement.

Lorsqu’on croise David Smith pour la première fois, dans une cafétéria new-yorkaise, il est au bord du gouffre : Plus un sou en poche, ivre et en passe d’être expulsé de son indécent logement à Manhattan, voilà des mois que le sculpteur est tombé en disgrâce et qu’il ne vend plus ses œuvres.
Il fait alors une rencontre qui va chambouler sa vie puisque le hasard lui fait croiser la route du vieil oncle Harry, qu’il n’avait plus vu depuis une éternité…
Il faut peu de choses pour qu’une vie bascule, l’artiste se voit alors proposé un deal incroyable : un don venu du ciel et qui lui permettra de façonner les objets à sa guise par un simple toucher, le don rêvé pour retrouver la gloire et la renommée qu’il a toujours ambitionnées…
En échange, il n’aura plus que 200 jours à vivre. La course d’une vie pour l’œuvre d’une vie !

« Quand le soleil se lèvera, ton vœu sera exaucé. »

Le sculpteur - extrait

Le sculpteur – Scott McCloud © Rue de Sèvres 2015

Efficacité pure !

Fort de ses 500 pages de plaisir vorace dont il est difficile de se détacher avant la fin, Le sculpteur est une lecture bien prenante. La faute à des personnages somme toute attachants (j’y reviendrai) !
Le scénario, sans lourdeur, nous happe complètement. Le principe-même du pacte avec la mort et du temps qui s’écoule n’y est pas pour rien. Le rythme est de plus en plus incisif et oppressant, il nous pousse à vite tourner la page pour connaître la suite. Vite, vite, toujours plus vite !

Tout est efficace dans la narration de Scott McCloud. Nous ne nous attendions pas au contraire de la part de celui qui a tenté de vulgariser les codes de la BD à plusieurs reprises tout au long de sa carrière (dans L’Art invisible notamment). L’usage de ses recettes est notable, ne vous attendez pas à une révolution séquentielle, vous seriez déçus. Idéogrammes d’expression, simplicité du trait, gestion parfaite des cadres et des effets de style (couleur qui s’estompe quand le héros est dans la lune, traits de vitesse dans l’action…) : tout y est !
Le fait est que ça fonctionne parfaitement et c’est déjà très bien.

Le dessin n’en est pas pour autant « joli ». Il est quelconque et même parfois limité. Les visages ne sont pas toujours beaux et certains nous paraissent même parfois ratés. Je pense notamment à quelques plans ou le visage de la belle (ce n’est pas un canon de beauté mais elle est touchante) Meg se retrouve un peu malmené.

Passons, parce que cette incroyable efficacité graphique (sans parler de virtuosité donc) est étroitement liée à l’histoire… en particulier à ses personnages.

Le sculpteur - extrait

Le sculpteur – Scott McCloud © Rue de Sèvres 2015

Terrible crève-cœur !

Ah la charmante Meg ! On s’attache vite à cette fille pleine de vie (c’est d’ailleurs un problème pour tous les gens qui la côtoient). Tout le contraire du protagoniste principal qui est une personne quelconque et dont le nom, quelconque lui aussi, est forcément bien trouvé (David Smith). Bien qu’il soit le personnage central de l’histoire, il ne parviens pas à attirer la même sympathie pour nous : il n’a pas autant de punch et de personnalité, il est tantôt déprimé ou désagréable et en perte de repères. Son Art compte plus que tout et ce n’est pas l’amour qu’il trouve dans ce bout d’ange venu du ciel qui sauvera les apparences. D’un autre côté, son égoïsme (et son je-m’en-foutisme) lui causera bien des tourments, des tourments qui nous font un peu mal à la tête nous aussi…

C’est une grande tristesse que cet album. Non pas une tristesse de lecture, au contraire : les émotions passent et nous touchent en plein cœur ! L’histoire est émouvante et les angoisses naissantes rougissent un peu nos yeux.
Prévisible par moments (mince, l’arrivée du vieux dans l’appartement, je savais bien que ça finirait comme ça), le récit ne perd pas pour autant de sa force et de sa saveur. Ce qui est un véritable crève-cœur (preuve s’il en est que l’attachement qui se crée avec les protagonistes est puissant).

Le livre se clôt en apothéose alors que nous n’attendions pas à être émus un jour par une sculpture de David Smith. Après 500 pages d’attente, nous ne savions plus trop si l’œuvre finale du sculpteur égalerait nos espoirs. C’est beau, c’est grand… et peut-être alors ce David Smith-là pourra se faire un nom, accédant à la gloire éternelle qu’il a toujours cherché à atteindre…

« Il y a une différence entre un Kandinsky et un… un porte-manteau.
Et même si personne ne voyait la différence, il y en aurait une. Toujours. Une différence. »

La question reste alors en suspend : une vie banale n’aurait pas été si croustillante mais aurait-elle est moins valorisante pour autant ?

Badelel

Badelel

Addendum du 24/07/2015

Scott Mc Cloud, célèbre théoricien de la bande dessinée et auteur du non moins célèbre L’art invisible arrive en force avec ce Sculpteur aux très récentes éditions Rue de Sèvres, avatar bédéphile de L’école des loisirs. Il faut préciser que, en France, nous ne l’avions pas revu sur de la fiction depuis le siècle dernier… Inutile de dire qu’il était attendu au détour ! Avec presque 500 pages, en plus, il a de quoi impressionner.

Le sculpteur plonge dans un fantastique qui côtoie le réel. A la limite entre l’histoire de fantôme (ou pas), de super-pouvoir, d’histoire sentimentale, on suit un David Smith complètement paumé et dépressif et au-delà de ce don dont il se retrouve affublé, le personnage nous montre toute sa psychologie.

L’idée de base est : et si un sculpteur avait le pouvoir de manipuler la matière à sa guise, qu’est-ce que ça donnerait. Et s’il savait qu’il ne lui resterait que quelques mois à vivre ? Dans le principe, ce n’est pas sans rappeler Omni-visibilis avec son idée de pousser un pouvoir jusqu’au bout, mais loin du ton absurde de ce dernier, Scott McCloud brosse un portrait bien plus fin et bien plus humain. Les notions d’amitié, d’amour, de famille, de confiance en l’autre, de trahison, de responsabilité sont partie intégrante du scénario. La question de la mort ne cesse de se poser, elle est omniprésente et l’est de plus en plus à mesure que le sort de ce David Smith s’améliore.

L’aspect fantastique n’est finalement là que pour donner une raison d’être à ce scénario qui pourrait presque s’en passer. Ce qui importe ici, c’est la sensibilité de David Smith.

Le dessin est un peu moins glamour. Certes sa sobriété permet de faire passer beaucoup de choses. A noter qu’il est toutefois (et heureusement) beaucoup plus développé que dans L’art invisible, mais n’aurait-on pas préféré un dessin au pinceau et en ton direct, voire des moment artistiquement audacieux, pour traduire le ressenti du protagoniste ? Ce trait aseptisé et tellement américanisé, quoiqu’extrêmement efficace, me parait dommage.

D’autres avis : Mo’, Yvan, Fab Silver, Moka, Yaneck
Le sculpteur (One shot)
Scénario : Scott McCloud
Dessin : Scott McCloud
Édition : Rue de Sèvres 2015
Le site web de Scott McCloud.
La présentation de l’album sur le site de l’éditeur.

Une réflexion sur “Le sculpteur

  1. […] Badelel : « L’aspect fantastique n’est finalement là que pour donner une raison d’être à ce scénario qui pourrait presque s’en passer. Ce qui importe ici, c’est la sensibilité de David Smith. » Lunch : « Fort de ses 500 pages de plaisir vorace dont il est difficile de se détacher avant la fin, Le sculpteur est une lecture bien prenante. La faute à des personnages somme toute attachants ! » Mo’ : « Scott McCloud […] revisite le mythe de Faust à ceci près qu’il ne vend pas son âme à la Mort mais accepte un don (un pouvoir) en échange de sa vie. » Yvan : « Ce plongeon au cœur du milieu artistique new-yorkais permet à l’auteur de critiquer le marché de l’art […] un monde spéculatif où le talent artistique n’est pas vraiment le seul moteur. » […]

    J’aime

Laisser un commentaire