Les noceurs
Poster un commentaire15 avril 2014 par Lunch

Lunch
Certaines bande dessinées sont plus faciles à appréhender que d’autres. Bien sûr on retrouve les blockbusters d’un côté, trustant les ventes sans qu’il y ait besoin d’en parler. Ce ne sont pas forcément de mauvais titres, il y en a même de très bons, ils s’adressent en tout cas à un public très large.
A contrario, on retrouve des œuvres comme Les noceurs qui sont tellement extraordinaires (au sens étymologique du terme) qu’elles n’intéressent qu’une poignée de connaisseurs… Tant et si bien que je me pose une question fondamentale : c’est pour qui ?
L’Art Flamand dans toute sa splendeur
Brecht Evens construit ses bandes dessinées comme un artiste peindrait ses toiles. À première vue l’auteur à sûrement plus une fibre d’artiste que de dessinateur BD : il impressionne dans l’art d’inventer, il révolutionne le medium et se l’approprie. Ses compositions artistiques sont ultra-colorées et jouent de la transparence pour présenter sur une même planche plusieurs plans différents. Cette façon déstructurée de raconter une histoire ôte toutes les barrières et permet de suivre en même temps des scènes dans des lieux certes proches mais bel et bien distincts : on est partout à la fois !
Les compositions de Brecht Evens sont belles et ne peuvent pas laisser indifférent (on aime ou on aime pas), elles présentent cependant le défaut de leur qualité : l’omniprésence asphyxie quelque peu les dialogues. Qui est qui ? Qui parle ? Où sont les personnages ? Les frontières narratives sont tellement floues qu’elles nuisent au confort et à la compréhension de lecture. Du moins à mon confort et à ma compréhension de lecture…
Le respect comme moteur
De fait, l’histoire des Noceurs entretien chez moi un étrange paradoxe entre une frivolité persistante et un vif intérêt porté à la richesse des sentiments décrits.
Le titre ne trompe pas : le milieu dans lequel les personnages évoluent est un lieu de débauche (à l’exception de l’appartement de Gert en préambule). Une boîte de nuit multi-fonctions qui comporte divers étages (il existe même une salle pour pratiquer l’escrime). J’ai eu les pires difficultés à éprouver de l’empathie pour les personnages de l’album, pour la plupart superficiels. Tous se connaissent par le fait d’avoir été à l’école ensemble 5 ans plus tôt. Le rôle de la camaraderie est assez central bien que négligé… Deux seuls centres d’intérêts semblent les préoccuper : faire la fête et la présence de Robbie (de vrais groupies).
Tout laisserait présager que le plébiscité Robbie est un homme sans profondeur et fantasque. La confirmation de son excentricité vient avec son apparition mais Robbie demeure néanmoins un personnage passionnant (et passionné). C’est surtout le duo Gert/Robbie qui fait pour moi toute la saveur du récit.
« Ce que j’aimais, ce qui était bon… Quand on était enfant, tout le monde nous laissait faire, rien n’était important, on faisait ce qu’on voulait sans que… je sais pas, on devait pas avoir de l’Ambition, on devait pas réfléchir au putain de SENS de notre putain de VIE. »
Gert et Robbie sont les parfaits opposés, en quelque sorte des frères qui ont choisi deux modes de vie très différents mais qui se respectent pour ce qu’ils sont devenus. Le premier est ordonné, sérieux, appliqué, réfléchi… finalement assez triste aussi, quand le second profite de tout, vit dans l’excès, aime faire la fête et ne se pose aucune limite sinon de faire ce qu’il veut à tout instant.
C’est le sens du mot respect qui est pour moi le point clef de l’histoire, ce respect qu’ils se vouent mutuellement alors que tous ces gens idolâtrent Robbie sans jamais le gagner et repoussent Gert sans le comprendre. Il en va de même pour cette fille timide et apeurée que Robbie va prendre sous son aile et pour laquelle on a un peu d’empathie…
Les Noceurs est un titre plutôt inclassable. Et moi-même je crois ne suis pas encore très sûr de la place que je dois lui réserver dans mon esprit.