TMLP (Ta mère la pute)
121 avril 2012 par Lunch

Lunch
« C’est l’histoire d’un mec qui tombe d’un immeuble de 50 étages. Au fur et à mesure de sa chute il se répète sans cesse pour se rassurer : » Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… » Mais l’important c’est pas la chute… c’est l’atterrissage. »
Cette réplique culte tirée du film La haine, on pourrait l’employer pour parler de nombreuses cités qui, sous le couvert de multiples faits divers, font parler d’elles à un moment ou à un autre.
Cette réplique, elle n’évoque pas seulement l’histoire d’un homme qui tombe à pic (sans mauvais jeu de mot). Elle parle aussi de ces événements qui s’enchaînent, quasi-inéluctablement, et qui se terminent mal… Aurait-on pu les éviter ?
TMLP (Ta mère la pute) fait partie de ces histoires là.
Gilles Rochier est né dans les cités de Montmorency dans le 95. Ces quatre cités voisines, lorsqu’elles furent érigées, étaient censées représenter le fleuron de l’architecture de demain. Imaginez-bien : des cités qui deviendraient des fers de lance de l’architecture contemporaine. On aura tout vu… les politiques y croyaient peut-être à l’époque. Mais en voulant parquer la misère dans ces tours, comme ça se faisait partout en France, il allait de pair que cela favoriserait l’exclusion, que cela allait à l’encontre de l’intégration.
Gilles Rochier est le premier enfant né dans ces nouvelles cités. Comme beaucoup ensuite, il a grandi dans ces quartiers miséreux. Les enfants y jouaient comme des enfants, désireux de partager leurs bêtises et les tournois de foot. Mais le temps passait et les bêtises étaient de plus en plus grosses, de plus en plus connes… jusqu’au jour où…
TMLP raconte l’histoire de ces cités. l’album nous interpelle en nous faisant vivre tout ça de l’intérieur, à travers les yeux de l’auteur, acteur et spectateur. Il ne s’agit que d’un fait divers finalement, mais il nous crève le cœur comme un tournevis crève un ballon. Il nous fait mal, nous met mal à l’aise.
Ce qu’il se passe dans les cités est très grave. Ça a toujours existé… malheureusement. Aujourd’hui certaines villes optent pour la démolition de ces tours qui devaient représenter l’avenir. Des événements qui bouleversent ceux qui y ont toujours vécu comme la destruction d’une usine pour l’ouvrier qui y a travaillé toute sa vie. Mais c’est probablement un mal pour un bien, car c’est la fin de l’isolement des gens pauvre, qui sont relogés au cœur de la ville dans des logements conventionnés.
J’ai eu beaucoup de difficultés à entrer dans le récit de l’auteur. Son dessin, hésitant, nerveux, me laissait penser au début à quelque chose d’enfantin, de grossier. Je me disais qu’il ne savait pas dessiner. Mais je me suis ravisé quelques pages plus loin, quand j’ai vu cette page où était reproduits des footballeurs et qui me prouvait que Gilles Rochier n’était pas non plus un débutant. Le graphisme, voulu mais difficile à adhérer, j’ai fini par l’oublier. L’histoire avançait, percutante, et éludait tout le reste. Ces tours, dressées comme des barres, représentaient la cité à merveille. Des traits droits, des formes carrées. Le reste importait peu : le récit se déroulait sous nos yeux sans que nous n’y pouvions rien. Nous étions nous aussi enfermés dans ce rôle ingrat de spectateur, muet, impuissant.
TMLP n’est peut-être pas un bel album avec de belles images. Mais c’est un album qui interpelle comme certains films comme La haine ou Ma cité va craquer l’ont fait avant lui.
L’album a par ailleurs reçu les louanges d’Angoulême, Prix Révélation 2012 !
Au final, je me dit que c’est mérité.

Badelel
Le mouvement initié par la nouvelle bande dessinée ne cesse de prendre de la place dans la production BD contemporaine : elle devient un support d’information et d’engagement. Dans les bibliothèques, on appelle ça du fonds documentaire, et de plus en plus souvent, je rechigne à cataloguer certaines BD en temps que « fictions ». TMLP fait partie de ces BD qui posent question. Évidemment, comme bien souvent dans ces cas-là, on ne va pas se marrer, c’est certain. Et là, l’ambiance est bien plombée : on suit la jeunesse de l’auteur dans les quartiers sensibles de la banlieue parisienne. De la galère au drame, Gilles Rochier nous fait partager son histoire et celle des millions de jeunes qui ont grandit dans des situations similaires.
Ça parle d’un « ici et avant » mais ça résonne comme un « ici et maintenant » avec une puissance telle qu’on sait que 1. ça ne s’est pas arrangé, 2. si on doit en croire les médias (et je mets toujours un bémol aux propos des médias, ne leur en déplaise), ça a même empiré. Et cela, l’auteur le présente avec son trait indécis, presque enfantin derrière une bichromie en tons sépias qui ne parvient pas à donner un esprit désuet à une histoire tellement actuelle. La couverture m’avait pourtant d’abord inspiré la photo de groupe des enfants de 20th century boys. Mais Rochier a-t-il d’ailleurs seulement voulu faire ressortir l’esprit passé de cette histoire ? Rien n’est moins sûr.
Bref, derrière un titre à la délicatesse plutôt douteuse (mais sans gratuité : il prend tout son sens à la lecture), c’est un quotidien qui ébranle. Rochier a toutefois su garder l’innocence de la jeunesse tout au long de son récit. Cette situation est-elle pour autant normale ? A-t-on simplement cette capacité d’adaptation qui fait qu’on peut vivre sereinement des enfances démunies et mutilées ?
Vous n’aurez pas les réponses en lisant ce livre, vous vous poserez même sans doute des tonnes d’autres questions, mais ce sont des interrogations nécessaires.
Par Mo ‘ le 23/04/2012 :
Je ne sais plus si c’est ton exemplaire ou celui de David que j’avais feuilleté mais j’en suis restée au stade de l’accroche difficile avec le graphisme. Vos chro cumulées à celle de Mr Zombi sont en train de me faire changer d’avis. Le genre de sujet que j’apprécie
Par Lunch le 23/04/2012 :
Pour être franc, la graphisme ne m’avait absolument pas tenté. Je me suis fié au flair de David et à l’adhésion de Zorg. Avec k.bd, on n’est finalement que rarement déçus, alors j’ai foncé tête baissée.\
Au final je regrette pas.
Par Oliv ‘ le 23/04/2012 :
Moi les dessins ne me font plus peur dans la BD ^^
J’avais acheté cet album juste avant Angoulême, et je ne regrette pas du tout !
Sympa vos 2 avis 😉
Par Lunch le 23/04/2012 :
D’une manière générale, moi aussi.
Mais c’est pas engageant à première vue quand l’accroche visuelle ne se fait pas d’emblée.
Si je n’avais pas eu les excellents conseils de David et de Zorg, et si la lecture n’avait pas été inscrite en thématique k.bd, je serais probablement passé à côté.
C’eut été dommage en effet.
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