Période glaciaire

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3 décembre 2011 par Lunch

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Lunch

Alors que le XXIème siècle est révolu depuis longtemps, une expédition archéologique est mise en place pour retrouver trace d’une ancienne civilisation dans le grand nord. Les cartes sont bien formelles, il doit bien y avoir quelque chose sous les pieds de ces hommes, sous cette épaisse couche de neige et de glace. Pourtant, les vestiges témoignant d’un passé lointain se font rares, comme cet écusson attaché au blouson de l’un des membres du groupe : un « O » et un « M » entrelacés, suivis de l’inscription « droit au but« . Impossible de prétendre savoir quoi que ce soit sur la signification de ce sigle, qui n’est finalement qu’une source d’espoir pour ces gens à la recherche d’un passé depuis trop longtemps enseveli.
Bientôt, le petit groupe à la soif intarissable de savoir découvrira un temple nommé Rungis dont les murs sont recouverts d’inscriptions en parfait état de préservation. Puis, poursuivant leur périple, ils finissent par tomber sur un nouvel édifice, richement ornementé en façade et rempli de tableaux à l’intérieur. Sans se douter un instant de la nature même du bâtiment, ils s’imaginent au gré des œuvres l’histoire de ces hommes qu’ils n’ont jamais connu.

Période glaciaire est un album triplement excellent.
– Tout d’abord parce qu’il symbolise un peu le renouveau de l’éditeur Futuropolis, alors en plein essor après une période plus que délicate. Il s’agit du tout premier album s’inscrivant dans cette toute nouvelle collection du Louvre, qui a pour but de dépeindre l’univers du plus grand musée parisien avec pour seule limite celle de l’imaginaire. Il sera suivi de nombreux autres, chaque fois mis en image par de grands noms de la bande dessinée : Bernard Yslaire (Le ciel au-dessus du Louvre), Éric Liberge (Aux heures impaire), Marc-Antoine Mathieu (Les Sous-sols du Révolu)…
– Ensuite parce que Nicolas de Crécy fait parti de ces auteurs complets qu’on apprécie dans l’univers de la bande dessinée. Des écrits justes et plaisants qui ne manquent ni d’humour ni de profondeur. Un graphisme percutant et fouillé pour un trait reconnaissable entre tous.
– Triplement excellent parce que Période glaciaire est une magnifique parabole du monde d’aujourd’hui. La visite du musée du Louvre pourrait être a elle seule un prétexte suffisant pour faire un album de bande dessinée. Mais Nicolas de Crécy y a ajouté de nombreux éléments, du fantastique à l’anticipation, qui donnent toute sa profondeur à l’Histoire.

Tout comme Éric Liberge le fera plus tard avec Aux heures impaires, Nicolas de Crécy a pris le parti de donner un âme aux œuvres présentées dans le musée du Louvre. Des objets animés et doués de parole qui possèdent, de part leur propre histoire mais aussi de par leur esprit de communauté, une culture bien plus évoluée que le peuple d’aujourd’hui, qui a tout perdu suite à une catastrophe écologique. Les hommes dépassés par leurs œuvres ? Elles, peuvent se vanter d’avoir survécu à l’épreuve du temps. Pourtant, elles gardent toute leur modestie et paraissent bien souvent plus humaines que la plupart de ces hommes foulant le sol du musée depuis si longtemps. Grâce à elles, l’homme réapprendra l’Histoire, son Histoire, celle qu’il a oubliée… et par son biais l’histoire du musée lui-même, de la fondation du bâtiment alors que les loups rôdaient dans Paris jusqu’à sa disparition.

À la fois fable historique, fantastique et écologique, Période glaciaire se fait l’écho de notre culture et nous met en garde par rapport à notre avenir. Une manière originale et pédagogique de visiter un musée.

Badelel

Addendum du 27/05/2014

Une expédition scientifique parcourt les étendues glacées. Ce groupe est constitué d’hommes, d’une femme et de trois chiens peu communs est en quête de quelque signe. Un signe de leur passé, d’une civilisation perdue : celle de leurs ancêtres. Cette expédition archéologique a ceci de particulier que ces hommes et femme sont nos descendants et que la civilisation perdue sous la neige, c’est la nôtre.

Le plus mémorable dans cet album, c’est son incommensurable sens de l’humour. Comment ne pas se marrer devant ce fanion de football, devenu une icône insaisissable et philosophique (« Ce « O » imbriqué dans ce « M », ça me fascine… « Droit au but », c’est un beau mystère. ») ? Ou la découverte émouvante d’un temple de l’ancien temps recouvert de fresques incroyablement préservées… le marché de Rungis et ses tags !
Nicolas de Crécy a transposé la situation de nos archéologues modernes face à leurs découvertes : le Louvre devient une sorte de grotte préhistorique où les découvreurs se basent sur les images qu’ils découvrent pour reconstituer une civilisation. Sauf que le Louvre est un musée, et qu’il regroupe plusieurs millénaires d’art et d’imaginaire et que nos scientifiques prennent ce qu’ils voient pour argent comptant. Que penser alors de ces tableaux représentant des animaux se livrant à des activités humaines, des monstres imaginaires et des créatures mythologiques, des scènes d’orgies, des anges et des angelots, des représentations de l’Enfer ?… Que penser d’une société apportant une telle importance à l’image, et si peu à l’écrit ? Et bien voilà nos visiteurs du futur à élaborer un micmac abracadabrant de théories toutes plus foireuses les unes que les autres.
Si le regard du lecteur est amusé par l’absurdité de la situation, l’idée n’en reste pas moins excellente, certes divertissante mais aussi pertinente : comment pourrait-on se représenter notre monde si on le découvrait par le Louvre, lieu qui regroupe un panorama de près de 6000 ans d’histoire. L’art étant ce qu’il est, il est finalement peu probable que cette représentation soit bien proche de la réalité. Et alors à nous de nous interroger : à quel point nous trompons nous quant aux suppositions que nous faisons concernant les découvertes archéologiques ?

Pas de message écolo en tous cas. Le réchauffement climatique a fait des siennes de façon assez violente, Paris est recouvert d’une calotte glaciaire, mais pour autant, l’auteur ne s’engage pas vraiment. Plutôt il s’appuierait sur notre « Apocalypse » la plus probable.

Bref, la grande qualité de ce récit est que la collaboration avec Le Louvre est plus un prétexte pour partir dans un univers farfelu digne d’un grand de Crécy et moins pour tenter maladroitement de donner vie à une commande comme cela aurait pu être le cas. Au lieu de ça, il crée un univers fantastique, semant la mort autour du Louvre pour mieux donner vie à ses œuvres. Pourtant, au détour d’une case, l’auteur nous fait visiter le château, le musée, son histoire et ses anecdotes. Peut-être le passage sur la Seconde Guerre mondiale est-il moins fluide et plus didactique, mais le changement de graphisme pour l’adoption d’une aquarelle pure adoucie ce sentiment.
En tous cas, cette magistrale Période glaciaire a bien mérité ses Prix des Libraires de Bande Dessinée et Prix Virgin en 2005 entre autres.

roaarrr

– Prix des libraires 2006

Période glaciaire (One shot)
Scénario : Nicolas de Crécy
Dessin : Nicolas de Crécy
Édition : Futuropolis / Louvre éditions 2005
La présentation de l’album sur le site de l’éditeur.

4 réflexions sur “Période glaciaire

  1. Lunch dit :

    Par Yaneck le 04/12/2011 :

    Moi aussi j’ai beaucoup aimé ce regard sur notre société actuelle. Ce regard futuriste, archéologique, sur notre civilisation, interroge aussi sur le regard qu’on porte aux civilisations de notre passé.

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  2. […] Liberge, auteur du célèbre Monsieur Mardi-Gras Descendres. Avec un passif pareil, et sachant que Période Glaciaire avait fortement marqué le paysage à son arrivée, ce titre laissait présager une bonne surprise. […]

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  3. […] J’ai par exemple adoré le tableau présentant le travail de Nicolas de Crécy sur Période Glaciaire, que j’ai rapidement […]

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  4. […] l’excellent Période glaciaire de Nicolas de Crécy en 2005, la collection de bandes dessinées du Musée du Louvre ne cesse de […]

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